Sans prétendre à aucune expertise scientifique ou monastique, on peut identifier sept phases du silence. Il y a plusieurs degrés de silence. Il s’agit d’un processus qui s’apprend avec le temps et beaucoup de patience. La patience est déjà un long silence. Le silence est un paradoxe comme ce qui est vivant : être actif à ne rien faire ! Jusqu’à être totalement inactif, pur réceptacle lunaire, pur miroir de la lumière.

La première phase est de vouloir le pratiquer. Le silence n’est pas une absence de bruits, mais le fruit d’une volonté. Il suppose qu’on l’observe et y réfléchisse. On lui donne du temps ; on perçoit ses effets ; on en découvre les valeurs. Le temps donné à l’observation du silence est déjà un silence.

La deuxième phase du silence est paradoxale : il est assourdissant ! Il y a un tel nombre de bruits et de sons qui nous envahissent que nous sommes tentés de rompre le silence pour faire taire ce qui nous pénètre avec autant de force et de violence. Nous voulons spontanément bloquer une onde sonore par une autre comme le font certaines machines antibruits.

La troisième nous rapproche de nous-mêmes. Si nous sommes assez tenaces pour résister à l’envahissement et que l’on n’est pas dans une situation tout à fait incontrôlable et excessive, les bruits s’estompent pour faire place au ronronnement de notre respiration, aux autres bruits du corps, les gargouillements, les sifflements, les démangeaisons, les douleurs, les malaises et les sensations de toutes sortes. Nous entendons notre corps. Là encore, c’est la ténacité qui nous permettra de passer à travers ce corridor et d’entendre autre chose.

Ici, la quatrième phase s’installe. Ce sont nos idées qui se mettent à défiler à toute allure : ce que nous avons à faire, ce que nous n’avons pas encore fait, ces débats d’idée qui nous tenaillent, lesquels peuvent être envahissants et voraces. C’est un autre couloir à traverser.

La cinquième phase est plus anxiogène. Ce sont nos émotions et nos sentiments qui refont surface. Les idées sont toujours dans l’ordre logique, froid, même si elles ont une incidence existentielle radicale. Les émotions nous ramènent à notre état brut d’existant. Elles contiennent toujours un lien avec la mort, qu’elles nous comblent de plaisir ou nous déchirent dans la douleur. Le silence devient ici plus difficile. Il doit devenir plus actif, déterminé, pugnace même et toujours plus tenace.

Après avoir traversé cet autre mur, la sixième phase émerge. Le silence se transforme peu à peu en dégagement, en apaisement, en réconciliation, en ouverture, en sérénité, en compassion et en capacité de rire de nous-mêmes et de notre situation. La générosité que nous mettrons à jouir de ce moment est importante et structurante. Elle renforce notre volonté d’épouser le silence, comme on se lie à ce qui nous est le plus cher.

Nous entrons dans la septième phase. Nous ne sommes plus agités par toutes les dimensions de notre vie. Nous avons fait le silence des sons, le silence des yeux, le silence des odeurs, le silence du gout, le silence de la peau, le silence de l’action, le silence de l’agitation émotive et intellectuelle. Ici, il ne suffit plus de taire tous les bruits pour faire silence. Il ne s’agit plus de privations, mais de pénétration. De pénétration au-delà des sens, d’un non-lieu sans turbulence. Le nirvana, qui sait ?

Votre expérience déroulera peut-être le silence autrement. C’est à vous de le découvrir. Votre silence deviendra connu, exercé, assumé. Il sera vôtre et vous redonnera à vous-mêmes.

Les koans zen n’ont pas d’autre but que de nous conduire au silence, et non pas de nous y réduire. Il ne faut pas se surprendre que nous manquions de mots pour parler de cette expérience. On ne peut que l’indiquer. Un coup rendu, le bruit ne sert plus à rien. Être suffit. S’il y a plusieurs chemins qui mènent au sommet de la montagne, rendu là, on n’a plus besoin de se taire, on devient terre.