Le silence est fragile, simple, furtif et discret. Le silence parle peu. La parole, elle, s’enthousiasme pour lui, le soutient et le défend. Sans la parole, il resterait muet. Sans lui, la parole aurait peu de poids.

Nous savons que notre vie est bousculée, agitée, angoissée, excitante, rapide, pressée même. Elle commence, comme vie spirituelle, le moment où nous décidons d’y insérer une pause, d’y planter le silence comme une bouée bienvenue sur l’océan des jours. Nous reprenons notre souffle, notre respiration s’apaise, les énergies dispersées retournent à notre corps, un immense soulagement et un ineffable contentement nous envahissent.

Le silence est une expérience tout à fait diversifiée. Il y a autant de silences qu’il y a de personnes. Pourtant, quand nous en parlons, il rejoint toutes les personnes sous un même toit cosmique, sous une même immensité stellaire, scintillant par moment, obscur l’instant qui suit. Qu’y a-t-il de plus universel que « la minute de silence » ?

Le silence est la densité même, troublante pour certains, rassurante pour d’autres ; toujours intense par ailleurs. Quand on se met à son écoute, on entend les harmoniques de la parole, inaudibles dans le bruit du verbiage et dans l’hyperactivité sociale. Passer au silence, c’est se transporter dans un monde parallèle qui toujours nous habite tous les jours. Le silence est un passage ; le silence est une transe.

L’expérience d’émettre des sons par la bouche vient instantanément avec la naissance. La gorge se déploie et manifeste le plus qu’elle le peut sa première expérience hors de l’utérus. Certains l’ont appelé, en l’interprétant, le « cri primal » ; je dirais plutôt « le cri premier ». C’est la première sortie d’un long silence de neuf mois.

Avec le temps, ce cri se multiplie ou se divise dans une multitude de sons qui tentent de signifier une multitude d’expériences. Expériences qui prennent aussi la couleur de la réponse qui sera donnée à ces sons variés. Un dialogue s’engage ; ma parole, bien que balbutiante et initiale, espère un répondant, espoir vital et radical, et la plupart du temps le trouve. Mes cris sont déjà devenus langage. Inquiets ou joyeux, ils appartiendront désormais aux répertoires de la communauté qui m’a vu naitre.

Entre ces cris et ces absences de cris, les sons s’effacent devant la respiration plus ou moins apaisée. Une autre expérience s’amorce ; celle du non-son, non-bruit, celle que nous pourrions appelée dès ce moment « silence », fut-il primaire et inconscient. Expérience douce ou amère, elle me dit que tout n’est pas son, activité, agitation ; que je peux jouir du répit et m’abandonner à la passivité. Mon corps est libéré d’une production tenace de sons ; il n’a qu’à écouter, qu’à faire place.

Ma bouche peut être sans voix, calme et close sans qu’il y ait catastrophe. Ce non-son devient une pause et bien au-delà une pose dans l’être même. Je jouis de ma paresse gutturale, buccale et labiale. Je ne suis que là. Dans la non-attente même. Tout est « calme et volupté ».